Les femmes pour la première fois dans les gradins : petite victoire ou «opération de communication cynique» du régime Iranien?
Le 10 octobre dernier, 4000 femmes Iraniennes ont pu assister à un match de football dans le stade Azadi de Téhéran. Si aucune loi n’interdit leur présence dans les gradins, les Iraniennes étaient, dans les faits, privées de ce droit depuis la révolution islamique de 1979.
Cet événement historique représente le succès du mouvement protestataire de la “Fille en bleu” qui a émergé en hommage à Sahar Khodary, une supportrice décédée en Septembre dernier après avoir tenté de s’immoler par le feu devant le Tribunal de Téhéran. La jeune femme risquait 6 mois d’emprisonnement pour avoir voulu supporter les joueurs au maillot bleu de son équipe préférée. Si le régime a fini par plier sur cette question, la place des femmes dans le sport en Iran reste encore très limitée. Que peuvent espérer les Iraniennes après cette petite victoire face au régime ? Bien que marginale et hautement symbolique, cette avancée pourrait entériner un nouveau rôle des femmes iraniennes dans les milieux sportifs.
Morte parce qu'elle voulait assister à un match de football : Sahar Khodayari, symbole du combat des Iraniennes https://t.co/HAWG45gHWv pic.twitter.com/Fmu4T4Cihp
— LCI (@LCI) September 15, 2019
Sahar Khodayari, morte pour avoir voulu soutenir son équipe de football préférée, est devenue le symboles de contestations à travers le mouvement de “la Fille de Bleue”.
Le 9 Septembre 2019, Sahar Khodary fait le trajet Qom-Téhéran, se déguise en homme et tente de franchir les portes du stade pour venir encourager son équipe fétiche, l’Esteghlal. Elle est finalement arrêtée à l’entrée du stade “Azadi”, qui signifie ironiquement “liberté” en Farci. Le jour de son procès, la jeune femme apprend qu’elle risque une peine de 6 mois de prison et décide alors de s’immoler par le feu. Le décès de Sahar quelques jours plus tard a profondément choqué l’opinion publique locale et internationale et a suscité une vague de protestation sur les réseaux sociaux soutenue aussi bien par les femmes que les hommes, et les joueurs de foot iraniens. Le capitaine de l’équipe de Persepolis, Hossein Mahini, a par exemple posté sur twitter un message de solidarité pour la supportrice : “J’espère qu’un jour la moitié d’Azadi sera à vous (Hope one day half Azadi will be yours) ”. L’arrestation de Sahar n’avait pourtant rien d’hors du commun : plus de 40 femmes avaient déjà été arrêtées par la Garde Révolutionnaire pour avoir voulu assister à un match au cours de ces deux dernières années.
https://twitter.com/HosseinMahini/status/1171324699285942272?s=20
Sur twitter, Hossein Mahini, le capitaine de l’équipe de football de Persepolis, témoigne son soutien au mouvement de la “Fille en Bleu”. Deux jours après le décès de Sahar Khodakry, le footballeur retweet ce dessin d’Omar Momani.
La FIFA et son président Gianni Infantino ont également eu un rôle déterminant dans la campagne qui a mené au match historique du 10 octobre. Depuis plusieurs années, la FIFA fait en effet pression sur le régime de Khouani à ce sujet, sans grand succès jusqu’alors. Eux mêmes sous pression des supporters internationales depuis le suicide de “la Femme en Bleu”, les hauts responsables de la FIFA ont envoyé en Septembre dernier une délégation à Téhéran pour assurer que des changements seraient rapidement mis en place.
Quarante ans après la révolution islamique, le régime iranien ne semble ne rien avoir perdu de son inflexibilité quant aux droits des femmes. Le leader de la Garde Révolutionnaire Abdullah Hajj Sadeqi, qualifie par exemple la présence des femmes dans les stades de “comportement dangereux” et “péché”. Il demande aussi au peuple iranien de veiller sur leurs “comportements sociaux” de façon à ne pas s’écarter de la foi. Le ministre des affaires étrangères, Mohammed Javad Zarif, justifie quant à lui l’interdiction par sa volonté d’épargner les femmes des comportement peu civilisés des supporters masculins pendant les événements sportifs.
Ainsi, après le match du 10 octobre, nombreux sont ceux à avoir salué cette victoire inattendue du mouvement de la “Fille en Bleu” et de la FIFA. Cependant, il est sûrement trop tôt pour applaudir le régime iranien pour ce geste progressiste. Il représente bien sûr un pas dans la bonne direction, mais le chemin à parcourir reste très long et le régime ne semble avancer que très lentement.Deux autres matchs avaient déjà été partiellement ouverts à des femmes choisies à l’avance par le régimes (20 femmes en 2001 et 100 en 2015 = à vérifier pour les dates) mais n’avait provoqué aucunes conséquences sur le long terme.
De plus, le 10 octobre, la section du stade réservée aux 4000 femmes ayant réussi à acheter leurs billets en ligne ne représentaient que 5% des sièges, et bien que de nombreuses places pour homme n’avaient pas été pourvues, le régime a refusé de laisser plus de femmes participer. Beaucoup d’entre elles se sont présentées à l’entrée du stade sans parvenir à y rentrer. Ainsi, les femmes journalistes et photographes n’ont également pas été autorisées à passer les portes de l’Azadi et à couvrir l’événement.
Le président du club Esteghlal (l’équipe encouragée par la Fille en Bleu), Winfried Schäfer, a lui même exprimé son pessimisme face à cette avancée qu’il juge peu déterminante: “Un nombre de dirigeants de la fédération de football iranien et un petit nombre de femmes ont été escortés dans une section spéciale. Cela ne change rien.” L’équipe a même tweeté : “Elle (Sahar Khodary) nous a supporté bien que les politiques le lui avait interdit, mais que pouvons nous faire pour l’aider? ABSOLUMENT RIEN. Nous sommes lâches.” Shäfer considère que le régime a uniquement cherché à satisfaire les dirigeants de la Fifa pour calmer les protestations sur les réseaux sociaux mais ne souhaite en aucun cas réformer profondément la place des femmes dans le football en Iran. En effet, rien n’indique que le match du 10 octobre marque le début d’une nouvelle ère pour le football iranien. Aucune promesse n’a été faite par le régime concernant les prochains matchs nationaux. Il est possible que les femmes doivent attendre plusieurs mois, lors du prochain match international en mars 2022, pour à nouveau pouvoir franchir les portes du stade Azadi.
Dear Gianni Infantino @FIFAcom:
Your own FIFA constitution prohibits discrimination against women. Iran's letting some women into a stadium yesterday for 1 game is just a cynical 1-day publicity stunt. #WakeUpFifa
Thread: https://t.co/83sX7WeBn1
— Hillel Neuer (@HillelNeuer) October 11, 2019
Sur twitter, la FIFA fait face à la pression d’internautes du monde entier. Hillel Neueur, un avocat international et activiste pour la défense des droits humains, accuse Gianni Infantino, président de la FIFA, de pas agir suffisamment pour permettre aux femmes de participer aux matchs de football en Iran.
Bien que le droit d’assister à des matchs de football n’apporte aucun changement fondamental dans la vie des femmes, il est hautement symbolique et impliquerait un changement plus global des mentalités. Avoir le droit de participer aux événements sportifs est un moyen pour les femmes de lutter contre leur exclusion de l’espace publique. Ce serait aussi, et surtout, une victoire pour le mouvement populaire face au régime, des réformistes face aux radicaux.
Si le régime est aujourd’hui si résistant à ouvrir complètement les portes des stades, c’est parce que les dirigeants sont conscients de l’effet domino qui pourrait suivre. Bien que peu significative en elle-même, une réforme permettant aux femmes d’assister aux matchs remettrait en question les mentalités enracinées dans le régime et pourrait ainsi déclencher un élan réformateur de plus grand ampleur. Ainsi, l’espoir de voir la moitié de femmes dans les gradins reste lointain et le 10 Octobre dernier s’apparente plus à “une cynique opération de publicité” qu’à une réelle avancée des droits des femmes en Iran.
The featured image “Friendly match between Iran’s women national football team and Germany’s Al-Dersimspor at Tehran’s Ararat stadium, 29 April 2006” by Maryam Takhtkeshian is licensed under Creative Commons Attribution 4.0 International.
Edité par Paloma Baumgartner