Le 4 février dernier, des milliers de téléspectateurs allumaient leur télévision afin d’assister à la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques d’hiver de Pékin. Xi Jinping, président de la République populaire de Chine, a marqué le coup d’envoi de cette vingt-quatrième édition des Jeux olympiques d’hiver, sur laquelle la Chine compte bien pour projeter sa puissance à l’international. En effet, le pays hôte des JO se retrouve sous le feu des projecteurs pendant toute la durée de l’événement. Cela lui permet tout d’abord de promouvoir une image avantageuse du pays en mettant en lumière sa tradition et ses valeurs nationales. Le pays hôte promeut de même sa modernité technologique en misant un budget important sur la médiatisation de l’excellente organisation des jeux. Ces diverses stratégies permettent depuis toujours aux pays hôtes des JO de projeter leur soft power. Cependant, cette année, les jeux se déroulent dans des conditions sans précédent. En plus d’être perturbés par la pandémie de la COVID-19, ils suscitent aussi de nombreux débats divisant la communauté internationale. De la persécution de la minorité ouïghoure à l’impact environnemental de l’événement sportif, la Chine ne cesse d’attiser les critiques.
Accueillir les JO : la stratégie politique de Xi Jinping
Quatorze ans après avoir accueilli les jeux d’été, la ville de Pékin ouvre une nouvelle fois ses portes aux Jeux olympiques, un événement tout autant sportif que politique. Bien que le Comité international olympique lutte contre cette tendance, de nombreux pays ne ratent pas l’occasion de faire des rencontres sportives internationales un réel instrument politique. C’est particulièrement le cas des villes hôtes de ces événements qui profitent du concept de « sportwashing ». Ce concept désigne le processus par lequel les états utilisent un événement sportif pour améliorer leur image et détourner l’attention des scandales pesant sur leur pays. Il est en 2022 plus que jamais d’actualité avec la tenue à la fois des Jeux olympiques à Pékin et de la Coupe du monde au Qatar. Alors que l’image de la Chine souffre de lourdes accusations de génocide contre la minorité ouïghoure, les JO représentent une réelle arme politique pour Xi Jinping. Avec l’aide de cette dernière, il tente d’étouffer les scandales et profite de l’événement sportif fédérateur pour promouvoir une image unie de la Chine. On retrouvera à nouveau ce recours au sportwashing avec la Coupe du monde au Qatar. Tout comme la Chine, le gouvernement qatari compte bien sur cette rencontre sportive pour dévier l’attention de la communauté internationale des accusations de violation des droits de l’homme. Pour résumer, l’année 2022 souligne parfaitement comment le sport peut se transformer en arme politique permettant d’accroître la popularité de certains États.
En 2022, la politisation des Jeux est plus flagrante que jamais. En effet, Pékin est la première ville de l’histoire à accueillir les JO d’été et d’hiver, reflétant ainsi l’ambition chinoise de marquer l’histoire. Ville hôte à deux reprises, la capitale profite des Jeux olympiques pour accroître sa visibilité et faire sa propre promotion à l’international. Xi Jinping ne manque pas une seule occasion de faire rayonner la puissance chinoise. Pour cela, il a avec succès honoré la tradition chinoise lors de la cérémonie d’ouverture des jeux. Il a aussi profité de cette dernière pour exposer de superbes feux d’artifices, rappelant que la Chine est l’inventrice de cette technologie. Enfin, il compte bien tirer profit d’excellents résultats sportifs.
Contrairement à 2008, Pékin ne peut plus se contenter de mettre en évidence les avancées technologiques du pays, devenue depuis une puissance moderne. La cérémonie du 4 février a reflété une nouvelle dimension de la stratégie chinoise, qui vise à présent à peindre le portrait d’une Chine unie. Cette politique s’est reflétée par le choix de la skieuse de fond ouïghoure Dinigeer Yilamujiang pour allumer le stade en fin de cérémonie. Ce choix symbolique souligne la volonté de la Chine de contrer les lourdes accusations liées à la persécution de la minorité ouïghoure, en renvoyant à la place l’image d’un peuple plus uni que jamais.
Enfin, la Chine a aussi profité des Jeux Olympiques pour projeter sa position dans la communauté internationale. C’est sous la devise « Ensemble pour un avenir commun », que Xi Jinping fait parvenir un message politique très clair à l’Occident. Il fait ainsi référence à sa politique de « communauté de destin pour l’humanité », idée selon laquelle la Chine désire construire une communauté internationale au sein de laquelle les États évoluent de manière interdépendante, tout en conservant une harmonie. Par cette allusion, il lance des piques à l’hégémonie occidentale, en totale contradiction avec la vision chinoise du monde. Totalement désintéressé par le modèle du libéralisme occidental, Xi Jinping vise plutôt à établir le modèle de la « Grande Chine ». Son projet des nouvelles routes de la soie témoigne de son rêve de voir la Chine acquérir une envergure mondiale. Ce projet contraste grandement avec le système libéral mondialisé à la tête duquel les États-Unis affirment une puissance hégémonique. Ce contraste contribue à creuser d’autant plus le clivage déjà présent entre la Chine et l’Occident.
Pour résumer, dans de nombreux détails dans la cérémonie d’ouverture des JO, aussi bien que dans les discours émis à cette occasion, le recours de la Chine au sportwashing et l’ambition de projeter le soft power chinois à l’international par le biais du sport sont très clairs.
La Chine peut-elle rayonner à l’international malgré les lourdes accusations à son égard?
Malgré cette ambition de recourir aux JO comme un tremplin politique, la Chine rencontre de nombreuses difficultés politiques dans le cadre de cette compétition sportive. Plusieurs pays occidentaux ont fait le choix purement symbolique d’exercer un boycott diplomatique. En d’autres termes, ces derniers ont décidé de ne pas envoyer de représentants gouvernementaux à la cérémonie d’ouverture du 4 février. En annonçant la prise d’une telle mesure le 6 décembre 2021, les États-Unis ont ensuite été suivis par le Canada, l’Australie et le Royaume-Uni. Ces états ont ainsi condamné la puissance chinoise pour le génocide contre la minorité musulmane ouïghoure en cours dans le pays. En effet, la communauté internationale soupçonne la Chine depuis de longs mois d’incarcérer les membres de la minorité ouïghoure dans des camps, de stériliser les femmes de force, et de soumettre hommes et femmes à du travail forcé. Ces allégations ont été confirmées par le rapport du « Tribunal ouïghour » du 9 décembre 2021. Ce dernier affirme que les traitements infligés à cette minorité par le gouvernement chinois relèvent, conformément à la loi, du génocide et du crime contre l’humanité.
Malgré un effort de portraiturer une Chine unie et solidaire, les critiques internationales pèsent sur le pays, en caractérisant notamment les JO de « Jeux du Génocide ». De telles accusations de crime contre l’humanité freinent Xi Jinping dans sa course pour faire rayonner la puissance de la République populaire de Chine. En effet, une partie de l’Occident met un point d’honneur à boycotter un État portant une telle atteinte aux droits de l’Homme. Cependant, cela n’est pas le cas de tous les pays. Par exemple, la France n’a pas suivi le mouvement de boycott, par peur de subir de sévères répercussions de la part de Xi Jinping. En effet, la France redoute des sanctions économiques et diplomatiques. Pour cause, le porte-parole du ministère chinois des affaires étrangères Wang Wenbin a affirmé que les pays boycottant les JO en « paieront le prix ».
La Chine, victime de polémiques humanitaires et environnementales
Au-delà de la controverse au sujet du boycott diplomatique des jeux, l’impact écologique dévastateur des Jeux de Pékin anime aussi grandement les débats. Les faits et les images se suffisent à eux-mêmes pour comprendre le désastre écologique que représente cet événement. Contrairement aux annonces du président du CIO Thomas Bach, la ville de Pékin n’est pas une ville de sports d’hiver. dE nombreux médias ont révélé au grand public des photos de pistes de ski enneigées au milieu d’un paysage inhabituel … un paysage rocailleux dépourvu de tout flocon! En effet, la région montagneuse de Yanking est connue pour son climat aride. Les Jeux s’y déroulent au mois de février, un mois particulièrement sec durant lequel on n’observe qu’en moyenne 0,1 jour de neige. Comment est-il possible que des épreuves de sport d’hiver se déroulent dans un tel climat? La réponse est simple : Pékin dépend à 100% de canons à neige, impliquant un coût économique mais aussi écologique disproportionné. Bien que les villes hôtes des jeux d’hiver comme Sochi aient elles aussi eu recours à la neige artificielle, Pékin est la première à en dépendre à 100%, générant de nombreuses inquiétudes liées au climat.
Pollution des sols et des écosystèmes
D’après l’ONG Protect Our Winters, la neige artificielle nécessite des produits chimiques permettant de ralentir la fonte de cette dernière. Or, une fois la fonte de la neige, ces produits chimiques pénètrent dans les sols, polluant ceux-ci ainsi que les nappes phréatiques, et portant atteinte à l’écosystème de la région.
La mobilisation de ressources en eau disproportionnées
De plus, des quantités d’eau astronomiques estimées à « deux millions de mètres cubes d’eau seraient nécessaires pour enneiger tous les sites », soit l’équivalent de 800 piscines olympiques, ou la consommation annuelle d’une ville de 12 000 habitants. Or, d’après l’AFP, Pékin est une ville au climat sec qui ne compte que 300 mètres cubes d’eau par an et par habitant. Pour une région dont la population souffre déjà d’un faible apport en eau, le recours à la neige artificielle pour les JO présente une réelle catastrophe écologique.
En réponse à ces critiques environnementales, la Chine promeut son recours à des énergies neutres en carbone. Dans le cadre du Village olympique, Pékin et le CIO mettent en avant l’utilisation d’électricité provenant uniquement de ressources renouvelables grâce au développement de panneaux solaires et d’éoliennes. Cependant, ces mesures vantées par le gouvernement chinois semblent relever davantage du « greenwashing » ou « écoblanchiment ». Ce terme désigne en effet le processus par lequel les entreprises ou agents politiques présentent leurs actions et services au public comme écoresponsables alors qu’il n’en est rien. Dans le cas des JO de Pékin, la politique d’utilisation d’énergie 100% renouvelable ne concerne en réalité que les installations sportives. La ville néglige ainsi entièrement l’empreinte carbone exorbitante liée à l’extraction d’eau, ou au transport des athlètes sur des longues distances pour atteindre les sites enneigés. Elle néglige aussi le bilan carbone lié à l’énergie nécessaire afin de chauffer les infrastructures dans la région de Yanqing où les températures atteignent les -20 degrés.
Les Jeux Olympiques 2022, un événement diviseur plus que fédérateur
En somme, les JO de Pékin mettent en lumière la puissance chinoise, mais pas seulement. Contrairement à ce que recherche Xi Jinping, ils témoignent aussi des défauts majeurs de cette puissance mondiale. Le boycott diplomatique des jeux illustre une fois de plus les accusations pesant sur la Chine quant au non respect des droits de l’Homme. En parallèle, les conditions climatiques dans lesquelles se déroule l’événement sportif indignent grandement la communauté internationale. Malgré ces critiques, la Chine continue de s’imposer comme concurrent majeur à l’hégémonie américaine. En effet, de nombreux États comme la France, ne boycottent pas l’événement par peur de subir des représailles. Se mettre la Chine à dos représente un risque trop important, témoignant de la puissance de l’empire du Milieu. De plus, le boycott diplomatique possède ses propres limites. À défaut d’encourager la Chine à modifier sa politique, cet acte symbolique est davantage perçu par Xi Jinping comme une impossibilité à coopérer. Il risque donc de renforcer une fois de plus le clivage entre la Chine et les pays occidentaux.
En couverture : Le célèbre « Nid d’oiseau », lieu d’accueil des Jeux Olympiques de Pékin 2022. “Beijing 2022 Olympic Park” de Tracy Hunter est sous licence CC BY 2.0.
Édité par Thierry Prud’homme