Les réseaux sociaux, l’autre pouvoir : de QAnon à l’invasion du Capitole
Le mercredi 6 janvier, aux alentours de 14 heures, Facebook, Twitter ou encore Instagram sont inondés d’images et de vidéos qui paraissent sortir tout droit d’un champ de bataille. Des hommes et des femmes déchaînés, brandissant drapeaux nationalistes et scandant des slogans conspirationnistes, s’élancent à l’assaut du siège symbolique de la démocratie américaine : le Capitole des États-Unis.
Baptisé l’Invasion du Capitole, cet événement démontre l’ampleur de la communication digitale et notamment son influence dans le paysage politique américain. Venus des quatre coins du pays, les assaillants, pour la plupart des partisans pro-Trump, avaient commencé à planifier cette rencontre sur les réseaux sociaux depuis déjà quatre semaines.
La communication digitale, un danger pour la démocratie?
Selon Jürgen Habermas, philosophe allemand, la communication digitale peut se caractériser sous deux aspects différents. D’abord, dans un régime autoritaire, celle-ci permet une démonopolisation des informations détenues par le gouvernement, ouvrant alors un espace d’échange plus ou moins libre pour les peuples opprimés. Dans un régime libéral, les forums digitalisés, en s’emparant des débats officiels, favorisent l’émergence de perceptions contradictoires qui entraînent alors une « fragmentation du public » et, à long terme, une déstabilisation des institutions gouvernementales.
En s’emparant du centre fédéral du pays, les partisans de l’ex-président Trump, certains extrémistes, ou encore des adeptes du mouvement conspirationniste QAnon, ont défié la souveraineté démocratique et l’ont alors mise en danger. Bien qu’elle semble s’apparenter à un enjeu de politique intérieure, cette invasion n’est pas sans résonance internationale : les institutions démocratiques américaines se définissant depuis longtemps comme modèles pour le reste du monde.
Réseaux sociaux, réseaux colossaux
Afin de comprendre l’origine des émeutes du Capitole, il est nécessaire de saisir la tendance qui domine le monde virtuel. Aujourd’hui, les réseaux sociaux sont devenus le moyen principal de communication en détenant l’accès le plus rapide à l’information, devant la presse papier et les journaux télévisés. Ces dernières années, outrepassant leur rôle initial de plateformes de partage entre amis et famille, les plateformes comme Facebook et Instagram sont devenues de véritables supports pour différentes organisations. Elles permettent la création de réseaux virtuels, dans lesquels n’importe quel mouvement peut émerger et rapidement se propager grâce à la rapidité de transmission de l’information. En outre, la liberté régnant sur Internet facilite la représentation de nombreux groupes, qui, en alimentant les débats de société, élargissent leur influence. Les réseaux sociaux peuvent alors devenir le pilier d’organisations complotistes, conspirationnistes, voire terroristes, qui déforment l’information à leur avantage et ce, souvent en toute impunité. Les internautes sont alors poussés à adhérer ou à s’opposer à ces différents mouvements digitaux, créant ainsi un phénomène de radicalisation. In fine, ceux-ci parviennent à étendre leur influence au-delà des écrans en favorisant le déroulement d’événements sociaux, économiques, et politiques.
QAnon, le succès complotiste d’Internet
Souvent désigné comme responsable de l’invasion du Capitole, QAnon est l’un de ces organismes virtuels qui rassemblent de nombreux adeptes autour d’une grande variété de théories conspirationnistes selon lesquelles une guerre secrète aurait été menée par Trump contre des élites et des membres du parti démocrate américain participant à des activités sataniques et pédophiles. QAnon est apparu en 2017 sur le forum 4chan, une plateforme d’échange au contenu majoritairement raciste et sexiste. Si 4chan a permis de fortifier l’unité des extrémistes de droite américains, il permet également d’éloigner toute personne venant de l’extérieur. En effet, en utilisant un discours délibérément haineux et politique incorrect, QAnon s’assure de choquer et d’éloigner de ses forums d’échange toute personne en désaccord avec leurs idées.
Depuis son envol du forum 4chan, QAnon est parvenu à réunir plusieurs milliers d’internautes, de Facebook à Instagram, à la faveur du contexte actuel de la pandémie. Confinés et isolés dans un monde qui terrifie et inquiète de plus en plus, des milliers d’individus ont été séduits par Internet et ses conspirations invitant au confort et à la sécurité tout en permettant de combler un vide. Alors que la confiance envers les politiciens, le gouvernement et les institutions s’érode, les organismes digitaux tels que QAnon gagnent du terrain. La présence croissante de QAnon sur tous les réseaux sociaux ont rendu ses idées conspirationnistes plus accessibles et acceptées, d’autant qu’il tente de se mêler à différentes causes de justice sociale pour gagner en crédibilité, comme le démontre l’ONG Save the Children. En effet, pour propager sa théorie de trafic d’enfants orchestré par les démocrates, QAnon s’est lié à cette organisation dont le but originel est de mettre en lumière les crises humanitaires traversées par les enfants du monde.
Sa stratégie d’élargissement passe également par des nouveaux designs et une esthétique attrayante. À travers des publications colorées aux apparences innocentes, QAnon parvient à s’infiltrer dans toute tendance qui prend forme sur les réseaux. Il devient alors plus facile aux utilisateurs de s’y intéresser et d’interagir avec son contenu. Ces interactions conduisent les algorithmes des plateformes digitales à renforcer davantage la présence du mouvement par les principes de visibilité et de recommandations. De plus, afin de maximiser sa viralité, le groupe d’extrême-droite capitalise sur l’impact émotionnel ressenti par les internautes en propageant des propos violents de manière exagérée. Inconsciemment pris au piège dans cette spirale, des internautes qui n’avaient pourtant jamais souhaité s’identifier au mouvement se retrouvent ainsi à partager son contenu.
Cette croissance exponentielle de QAnon sur les outils de communication digitale est vite devenue incontrôlable. Bien que son existence précède la pandémie et les élections présidentielles, ce n’est qu’après l’invasion du Capitole que l’on a pris conscience de son étendue et de la gravité de la situation.
D’Internet à la réalité, quels enjeux pour la démocratie?
Puisque de telles organisations parviennent à désinformer, voire modeler l’actualité, elles deviennent, par l’intermédiaire des réseaux sociaux, de nouveaux acteurs omniprésents sur la scène politique qui transcendent différentes dimensions : téléphones, ordinateurs, jusqu’aux journaux papiers.
Indirectement, les réseaux sociaux détiennent le pouvoir de fragmenter l’opinion publique. Les controverses complotistes et les débats qui s’y déroulent poussent les Américains à une prise de parti, qui, à défaut d’unifier et de guider le pays vers l’avancement, le ralentit et le divise. Au-delà d’une fragmentation politique, on peut observer une véritable polarisation entre ceux qui succombent à la manipulation digitale d’un côté, et ceux qui se montrent plus prudents en continuant de s’informer sur des formes de médias traditionnelles.
Les mouvements issus d’Internet peuvent donc représenter de réels dangers à l’unité d’une nation. Aux États-Unis, les appels au dialogue se sont jusqu’ici montrés vains, tant la haine entre les deux groupes semble s’être enracinée. La politique polis – ou la cité organisée – tend alors vers le désordre et l’anarchie.
Édité par Driss Zeghari.
Image de couverture: collage fait par l’auteur.