L’immigration et la CAQ : entre intégration et exploitation
La Coalition Avenir Québec (CAQ), parti politique de centre-droite mené par François Legault, est au pouvoir au Québec depuis 2018, et s’est faite réélire en octobre 2022. Les dirigeants de ce parti sont connus pour leur discours parfois négatif concernant l’immigration. En 2022, Legault établissait par exemple un lien entre l’augmentation de la violence au Québec et l’immigration, tandis que le ministre du Travail, le caquiste Jean Boulet, affirmait que « 80 pour cent des immigrants s’en vont à Montréal, ne travaillent pas, ne parlent pas français ou n’adhèrent pas aux valeurs de la société́ ». En somme, le discours de la CAQ prétend que les immigrants eux-mêmes n’ont pas la volonté de s’intégrer à la société québécoise, et, de ce fait, présente la CAQ comme victime d’un système migratoire problématique, voilant ainsi le fait qu’elle est elle-même la force qui institue ce système.
Première impression : La CAQ réduit l’immigration pour mieux l’intégrer
À première vue, tenant compte du discours programmatique de la CAQ et de sa politique concernant l’immigration permanente, il est facile de croire que la CAQ est aux prises avec une réelle problématique qu’elle travaille activement à rectifier.
Dans son discours officiel, la CAQ se présente en effet comme tentant d’intégrer l’immigration. Par exemple, dans sa plateforme électorale pour 2022, l’immigration est traitée sous la section « Le Québec d’abord », où est présenté son plan pour la défense de « [l]’autonomie, [la] langue, [les] valeurs et [la] culture » du Québec. Sous cette section, la CAQ indique qu’il faut pouvoir mieux intégrer les immigrants à la « réalité française du Québec ».
C’est dans cette visée de promouvoir une bonne intégration des immigrants en vue de la défense de la culture québécoise que, en 2019, François Legault affirme vouloir réduire le seuil d’immigration. Et son gouvernement le fait en effet cette même année-là, en réduisant l’immigration permanente : elle élimine 18 000 dossiers d’immigration permanente au travers du projet de loi 9.
Inconsistance politique : réduction et augmentation simultanée
Cependant, en y regardant de plus près, on peut voir que cette réduction de l’immigration permanente ne réduit en effet pas toute l’immigration. Il existe en effet plusieurs types de migrants : certains migrent de manière permanente, voulant s’installer à long terme dans le pays d’accueil, et d’autres de manière temporaire, principalement pour travailler pour une courte période dans le pays de résidence.
Et bien que la CAQ ait réduit l’immigration de travailleurs permanents, elle a simultanément augmenté l’immigration des travailleurs temporaires. En 2018-2019, le Québec accueille plus de travailleurs étrangers temporaires que d’immigrants permanents : 119 565 contre 51 118, respectivement. Le gouvernement caquiste œuvre activement pour augmenter le nombre de travailleurs temporaires étrangers. Il a ainsi conclu un accord avec le gouvernement fédéral pour permettre aux employeurs de tripler le nombre de travailleurs immigrants temporaires d’ici 2023. En conséquence de cet accord, le nombre de permis accordés aux employeurs québécois pour engager des travailleurs immigrants temporaires est passé de 13 030 en 2017 a 30 340 en 2021, soit une augmentation de 133 pour cent. Le Québec devient donc la deuxième province du Canada avec le plus haut taux de travailleurs immigrants temporaires.
Dès le début de son premier mandat, la CAQ mène donc une double politique sur l’immigration, qui contredit son discours. La Confédération des syndicats nationaux (CSN) remarque en 2021 le même phénomène d’une double politique d’immigration, notant que l’immigration permanente était en augmentation jusqu’en 2018, mais qu’à l’arrivé de la CAQ au pouvoir, ce nombre a diminué en comparaison de la migration temporaire.
La CAQ peut donc bien se présenter comme la force qui réduit l’immigration, mais dans les faits elle n’a fait que l’augmenter et en a simplement changé la composition : le ratio entre immigrant permanent et migrant temporaire est maintenant débalancé, avec plus d’immigrants temporaires que d’immigrants permanents.
La CAQ renforce les obstacles à l’intégration
Qui plus est, en augmentant spécifiquement les immigrants temporaires aux détriments des immigrants permanents, la CAQ aggrave et accroît le problème vis-à-vis duquel elle se dit être victime et qu’elle blâme sur les immigrants eux-mêmes, soit le problème d’intégration. En effet, les immigrants temporaires ont généralement plus de difficulté à s’intégrer à leur société d’accueil que les immigrants permanents, et ceci se confirme au Québec également.
L’intégration des immigrants temporaires est difficile puisqu’ils se retrouvent souvent dans des situations de travail précaire. De multiples recherches montrent que la priorisation de l’immigration économique, c’est-à-dire des travailleurs étrangers temporaires, augmente le travail précaire, un travail où il y a peu de sécurité de travail, des salaires bas, un contrôle sur les conditions de travail bas ou presque nul [1]. Une des raisons principales de cette augmentation est due au fait que la majorité de cette main-d’œuvre est prise en charge par des agences de placement qui maltraitent souvent les travailleurs.
Ces agences de placement sont devenues de plus en plus importantes dans l’économie du Québec. Elles ont connu une croissance économique importante ces dernières années, par exemple avec leurs revenus passant de 1,4$ milliards en 2014 à 2,1$ milliards en 2017. Leur popularité réside dans le fait qu’elles sont avantageuse pour les entreprises, puisqu’elles leur permettent de piger dans une main-d’œuvre sous-payée et donc de réduire leur dépenses et ainsi d’être plus flexibles et compétitives. Leur place dans l’économie québécoise a bel et bien augmenté aussi, représentant en 2019 à peu près 26 pour cent de la main d’œuvre totale[2].
Ces agences placent leurs travailleurs, qui pour la plupart sont des travailleurs étrangers temporaires, dans des conditions précaires. Selon un rapport du directeur de Santé publique de Montréal, ces travailleurs sont plus à risque de lésions : à Montréal, 6 lésions sur 10 touchent des travailleurs gérés par ces agences de placement, tandis que dans le reste du Québec, ce ratio est de 3 lésions sur 4. Ils sont aussi plus à risque d’avoir des problèmes de santé, d’être dans une situation d’insécurité de travail et de recevoir plus de charge de travail.
Bien qu’il y ait des lois protégeant les travailleurs québécois contre ces conditions précaires et pratique exploitative, tels que la Loi sur la santé et la sécurité du travail (LSST), la Loi sur les accidents de travail et les maladies professionnelles (LATMP) ou la Loi sur les normes du travail, ces travailleurs temporaires étrangers sont très souvent légalement « invisibles » et ce en raison du système triangulaire d’emploi établi par les agences de placement. Par conséquent, ils ne reçoivent pas de protection légale contre ces pratiques prédatrices.
Ce système se caractérise comme suit : ces employés sont engagés par l’agence et l’agence est elle-même engagée par les entreprises pour leur fournir des travailleurs qui peuvent être sous-payés.
Il existe dans ce système triangulaire une grande ambiguïté légale, car la loi se trouve parfois en difficulté d’identifier qui est légalement responsable de la sécurité et de la santé des travailleurs. Vue la particulière constitution des agences de placement, elles ne sont pas sous la juridiction de la LSST. Aussi, la responsabilité de former les travailleurs en santé-sécurité et l’obligation de leur fournir des équipements de protection n’est pas clairement définie par les lois en vigueur, de sorte que les travailleurs ne reçoivent parfois pas de formation ni d’équipement de protection, augmentant ainsi leur insécurité au travail.
Dans ces conditions, personne ne serait capable de s’intégrer à la société québécoise. Comme le dit Gabriel Nadeau-Dubois, chef parlementaire de Québec solidaire : « c’est une immigration précaire, qui s’intègre difficilement. Pas parce qu’elle ne veut pas s’intégrer, mais parce qu’elle ne peut pas ».
Par conséquent, si, dans la constitution de l’immigration totale au Québec, le nombre d’immigrant temporaire est en hausse par rapport à l’immigration permanente, il n’est alors pas accidentel que la capacité d’intégration des immigrants soit en baisse, car la majorité des immigrants, en étant temporaire, se retrouvent dans des situations précaires. Il est donc facile de voir que la CAQ, au travers de sa double politique sur l’immigration, est la cause de l’accentuation de ce problème d’intégration.
Réduire l’immigration temporaire?
Certains peuvent alors se demander : pourquoi ne pas réduire le nombre d’immigrants temporaires? De cette façon, on pallierait le problème de l’intégration.
La réalité est que les travailleurs immigrants temporaires sont devenus plus qu’essentiels pour le Québec, et donc leur réduction est impensable. La CAQ défend l’augmentation de l’immigration temporaire en affirmant qu’elle permet de contrer la pénurie de main-d’œuvre au Québec. L’augmentation de l’immigration temporaire est donc un outil économique essentiel pour la CAQ. Ainsi, Simon Jolin-Barrette, le ministre caquiste de l’immigration pour l’année 2019, affirme l’importance d’utiliser les travailleurs étrangers temporaires pour remplir les besoins du marché du travail de la province.
Si ce type d’immigration est nécessaire et sa réduction, impossible, l’intégration des travailleurs temporaires est donc primordiale, car ils ne partiront pas de sitôt, chose que Simon Jolin-Barrette affirme également, en posant comme nécessité de favoriser « leur participation à la vie collective par l’entremise de services de francisation et d’intégration ». Selon lui, cette participation passe donc par la « connaissance du français et le sentiment d’appartenance à la société québécoise ».
Sachant que leur intégration est obstruée par les systèmes au travers desquels ils rentrent principalement en contact avec la société québécoise (c’est-à-dire, les agences de placements), il semble inadéquat de miser seulement sur la francisation, et non pas aussi sur une réforme de leurs conditions de travail. Ce sont les régimes qui les prennent en charge pour la majorité de leur temps passé au Québec qui devraient se voir visés par les politiques d’intégration de la CAQ.
Absence de volonté de réforme
En 2021, avec l’adoption du projet de loi 59 par le ministre du Travail, Jean Boulet, certains commentateurs voyaient la CAQ prendre cette direction. Cependant, plusieurs groupes ont vivement critiqué ce projet, dénonçant le fait qu’il ne prenait pas en compte les travailleurs temporaires. Ce n’est pas une coïncidence que les groupes défendant les travailleurs immigrants temporaires et les travailleurs des agences, tels que le Centre des travailleurs et des travailleuses immigrants (CTI) et l’Association des travailleurs et des travailleuses temporaires d’agences de placement (ATTAP), n’aient pas été consultés par le ministre. L’absence de ces organismes dans la formulation du projet de loi est grave, car elle indique soit que le gouvernement évite d’aborder les conditions problématiques dans lesquelles se trouvent les travailleurs étrangers temporaires, soit qu’il ignore ce phénomène complètement. Dans les deux cas, les conséquences pour ces travailleurs sont importantes, puisqu’ils sont non seulement dans une situation d’invisibilité légale et donc de précarité, mais ils sont blâmés pour les résultats causés par ceux qui les blâment : en augmentant l’immigration de travailleurs temporaires, tout en ne réglementant pas les agences de placement, la CAQ continue à supporter et maintenir la précarité des immigrants, et donc supporte et maintient aussi la difficulté que ces derniers ont à s’intégrer. Ce parti critique une immigration qui ne s’intègre pas, mais crée les conditions pour que cette immigration ne puisse pas s’intégrer. En d’autres mots, ce que la CAQ veut combattre, elle le reproduit.
[1] Andrew JACKSON & Mark P. THOMAS, “Work, wages, and Living Standards in Canada”, dans Work and Labour in Canada, Third Edition, Toronto, Canadian Scholars, 2017, p. 21-44.
[2] Mostafa HENAWAY, “La ville, atelier de misère”, dans Politique urbaine à Montréal: Un Guide des Citoyen.ne.s, Montréal, École des affaires publiques et communautaires, 2019, p. 169-180.
Édité par Thierry Prud’homme
En couverture : Images libres de droit, montage par Maria Laura Chobadindegui.