L’Origine du Hirak en Algérie
Le samedi 22 Février, de Montréal à Paris en passant par les petits villages de Kabylie, les Algériens à travers le monde ont célébré le premier anniversaire du « Hirak », un mouvement révolutionnaire visant à enfin réaliser les nombreuses ambitions du peuple algérien développées durant sa lutte acharnée pour l’indépendance. Afin d’accélérer les avancées politiques, les Algériens ont fait le choix de sortir dans les rues et de manifester pendant une année complète. Afin de comprendre les motivations de la population, il est nécessaire de revenir sur l’origine du mouvement.
Après près de 8 ans de guerre et 100 ans de colonisation, l’Algérie se défait enfin de l’emprise des Français le 5 juillet 1962 et déclare son indépendance. Quelques mois plus tard, le nouveau pays rédige sa constitution afin d’établir une nation autonome sous laquelle un président ne pourra excéder deux quinquennats au pouvoir. Malheureusement pour le peuple algérien, les figures autocratiques françaises ne sont que remplacées par leurs propres concitoyens En effet, le parti politique de la révolution, le Front de Libération Nationale (FLN), suite à sa victoire, s’auto-proclame parti unique et règne jusqu’en 1965 avant d’être renversé par un coup d’état militaire dirigé par le ministre de la Défense Houari Boumédiène qui se déclare aussitôt président. Dorénavant, l’armée est chargée de désigner les présidents algériens.
En 1979, après la mort inattendu du président Boumédiènne, les militaires hésitent entre deux candidats : Abdelaziz Bouteflika, qui tient le poste de ministre des Affaires étrangères depuis 1963, et Chadli Bendjedid, un homme d’influence au sommet de la hiérarchie militaire. Le 9 février 1979, Bendjedid prend la tête de l’Etat algérien et Bouteflika décide alors de s’exiler en Suisse. En 1988, après 25 ans de règne autocratique, l’Algérie, sous Bendjedid, se lance dans un processus de démocratisation et des élections multipartites sont organisées. Toutefois, face à la montée du Front Islamique du Salut en 1992, l’armée décide d’interrompre le processus électoral : une guerre civile opposant les forces islamiques et l’État-major éclate et marque le début de la « décennie noire ». Après 28 ans d’exil, Mohamed Boudiaf, héros de la guerre d’indépendance et rescapé du coup d’État de 65, est sollicité par l’armée afin de mettre un terme à la guerre civile, mais, en 1992, il est assassiné durant une conférence par un militaire du nom de Lambarek Boumaarafi.
Après plusieurs années de conflits, les militaires au dépourvu font appel à Bouteflika en 1999 et organisent des «élections» au cours desquelles les sept autres candidats se désistent avant même le jour du vote. L’ancien ministre des Affaires étrangères devient donc président le 27 avril 1999 et instaure le «Concorde Civil»; une loi amnistiant les opposants islamiques. Le 8 février 2002, Bouteflika met finalement un terme à la guerre. Les conflits diminuent et l’état d’urgence est finalement levé.
La tumultueuse histoire de l’Algérie nous permet de comprendre l’état d’esprit actuel des Algériens. En effet, leur rêve d’un pays libre suite à l’indépendance est détruit par l’instauration immédiate d’un parti unique, suivi d’un contrôle autoritaire de l’armé. Lorsqu’un second souffle démocratique survient avec les élections de 88, il est aussitôt étouffé par les militaires. La guerre qui s’ensuit fera près de 200 000 morts pour la plupart des civils. Le peuple, fatigué et découragé, ne participera pas au mouvement révolutionnaire du printemps arabe en 2013. Bouteflika, qui est au moins capable d’apporter de la stabilité au pays, après 40 années de tensions, sera toléré malgré le fait qu’il fasse fi des limites constitutionnelles de mandats.
Le 10 février 2019, Bouteflika se présente pour un cinquième mandat malgré un accident cardiovasculaire subi en 2013 qui l’oblige à rester sur un lit d’hôpital en Suisse. Dirigeant depuis le pays à l’aide de lettres envoyées à des représentants politiques en Algérie, il parvient également à amender la constitution de sorte à devenir président à vie. Cet acte sort le révolutionnaire algérien de sa léthargie. C’est dans le petit village kabyle de Kherrata que la première manifestation anti-régime à lieu, marquant le début officiel d’un mouvement contestataire se propageant partout en Algérie. Le 22 février, c’est plus de 800 000 manifestants qui se réunissent dans les rues d’Alger. Malgré les demandes de démission de la population, Bouteflika ne lâche pas et annule les élections, prolongeant ainsi son mandat. Durant le mois de mars et d’avril, les manifestations s’organisent et s’intensifient au travers des réseaux sociaux partout en Algérie ainsi que devant les consulats algériens en Europe et en Amérique du Nord. La première victoire du mouvement démocratique survient le 1er avril lorsque Bouteflika annonce enfin sa démission. Il faut comprendre que les réseaux sociaux permettent aux Algériens de s’organiser facilement, d’éviter la propagande du régime, et d’exprimer clairement leurs objectifs : un renversement complet du régime, une réforme institutionnelle et un gouvernement démocratique.
Abdelkader Bensalah est nommé président par intérim et plusieurs tentatives de réconciliation entre l’armée et la population sont amorcées. Malgré ces efforts et leur victoire face à Bouteflika, les Algériens demeurent insatisfaits et maintiennent leurs manifestations. Nonobstant leur victoire face à Bouteflika et les efforts de dialogue, les manifestants sont opiniâtres quant à leur demandes et maintiennent les protestations. Le 2 septembre dernier, Gaïd Salah, chef de l’État-major, sort enfin des coulisses du pouvoir, et annonce qu’une élection sera tenue en mi-décembre. Cette annonce est immédiatement opposée par le Hirak, toujours méfiant de la classe politique. Les manifestants se souviennent de l’intervention militaire de 1992 ayant provoqué la guerre civile. Néanmoins, les élections ont bel et bien lieu et Abdelmadjid Tebboune, Premier ministre depuis 2017, l’emporte. Représentant du vieux système politique duquel les Algériens tentent de se défaire depuis un an, les résultats de l’élection sont inévitablement contestés et des manifestations se poursuivent tous les samedis à travers le monde.
Les Algériens réclament l’accomplissement du rêve révolutionnaire, soit celui de la démocratisation officielle du pouvoir, la dissolution du FLN, l’arrêt de la corruption incessante et la mise en place de la seconde République. Connus pour leur grande fierté nationale, les Algériens s’opposent aujourd’hui à une classe politique qui les oppresse. La créativité, l’énergie, et la solidarité dont les manifestants font preuve est remarquable et se poursuivra tant que les points capitaux du Hirak ne seront pas acceptés par le gouvernement.
Photo de couverture: Par marwanouallal, sous license CC BY-SA 2.0