Macron, Colonisation et Confusion

Emmanuel Macron, candidat centriste à l’élection présidentielle française, était en voyage à Alger ces 13 et 14 février. Il y a alors déclaré: «la colonisation est un crime contre l’humanité», dont la France est responsable, divisant l’opinion des Français: les uns voulant en finir avec «cette repentance indigne », les autres appréciant l’effort du candidat à la prise de responsabilité de la France dans cette page noire de son histoire.

Une exhibition française des Algériens en France pendant la guerre d’independence. Source: Flickr Creative Commons (https://www.flickr.com/photos/d1v1d/8321508579/)

Pour être franche, j’avais décidé d’attaquer Macron sur sa politique de rapprochement entre la France et l’Algérie. Elle me paraissait maladroite et emprise d’un esprit néocolonialiste mais en survolant les titres de la presse française, j’ai réalisé que j’avais surestimé le travail que les Français avaient fait sur leur perception de la colonisation. S’il existe aujourd’hui encore un débat sur les potentiels bienfaits de la colonisation, il manque un réel travail de fond. Un travail révélant la réalité oppressante, raciste, clientéliste de la colonisation puis la violence et la souffrance de la décolonisation algérienne. S’il y a eu un échange entre les deux pays, il n’a été que léonin. Par conséquent, critiquer les positions apparemment avant-gardistes de Mr. Macron sans en reconnaître leur intention progressiste serait contre-productif.

L’Algérie et la France ont une histoire douloureuse. Une histoire de colonisation donc d’exploitation qui s’est terminée brutalement avec la guerre. En France, la guerre d’Algérie a longtemps été niée par l’emploi de l’euphémisme « les événements d’Algérie ». Cette guerre sans nom a pourtant mobilisé 1,5 millions d’appelés, des jeunes hommes dans leur vingtième année devant faire leur service militaire obligatoire. Elle a profondément touché la population française pour qui l’Algérie, en tant que département, constituait le territoire national. Elle a profondément touché les Algériens pour qui elle permettait l’indépendance. Elle a divisé français, algériens, pieds noirs et Harkis. C’est une histoire qui a créé une multitude de mémoires sans que personne ne connaissent vraiment la vérité. La censure et le secret politique, d’une part, la défaite d’autre part, ont rendu le sujet tabou, difficile d’accès, chargé d’émotions.

Toutefois, malgré cette rupture violente, les deux pays restent historiquement et politiquement liés. En terme de démographie, France-Algérie représente un million et demi de binationaux dans l’hexagone, 20 000 Français recensés au consulat d’Alger et des millions de Français liés à l’Algérie française. L’Algérie est un enjeu électoral pour les candidats à la présidence française et donc un passage obligatoire pour les hommes politiques français. Emmanuel Macron, en allant à Alger, pense surtout à sa campagne électorale: il a fait un choix stratégique et espère rassembler autour de lui des électeurs pour qui l’Algérie est chère.

En condamnant la colonisation publiquement, le candidat crée un précédent. Il ne pourra pas revenir sur ces propos et semble à son insu avoir pris une position politique claire, ce à quoi notre OPNI (objet politique non identifié) n’est pas habitué. D’ailleurs, revenu en France il semble déjà s’en excuser. Sa position anticolonialiste a visiblement choqué une partie de l’électorat français, plutôt à droite. Pourtant juste récemment, en novembre dernier, Macron affirmait dans un interview avec le magazine Le Point, que la colonisation avait apporté «des éléments de civilisation». Ensuite sa phrase : « La France a importé la déclaration universelle des droits de l’Homme en Algérie, mais elle a oublié de la lire », certes théâtrale, est tellement chargée de sous-entendus qu’elle en perd son sens. Les droits de l’Homme sont très largement assimilés à la notion de civilisation. S’ils n’ont certes pas été respectés durant la colonisation, Macron suggère-t-il que les lois en Algérie sont l’héritage de la France ? Bref, entre buzz médiatique et convictions morales, la position de Macron reste trouble.

Par ailleurs, la politique de rapprochement entre l’Algérie et la France que Macron propose reproduit le schéma colonial. La France en civilisateur apporte, avec l’ouverture d’un deuxième lycée français à Alger, le développement salvateur à l’Algérie, pays du Tiers Monde, s’enfonçant dans des problèmes de sécurité, dans une économie à l’arrêt et dans un régime politique controversé. Ensuite, il prend avec les relations franco-allemandes, le mauvais référent : l’Allemagne n’est pas l’Algérie. Ces relations sont le résultat d’une longue rivalité entre deux pays frontaliers. Elles forment maintenant un partenariat économique et politique, culturel et administratif solide, ciment de l’union européenne. Ce partenariat est une réponse directe au trauma et à l’anéantissement ressenti par les deux peuples après les deux guerres mondiales dont ils ont été l’épicentre. Après une destruction quasi totale, c’est dans un esprit de coopération et d’amitié qu’ils renaissent. Les deux pays, bien que rivaux et ennemis ont toujours été mis sur le même plan. Cette considération n’a jamais existé dans les fondements des relations franco-algériennes.

Cependant Emmanuel Macron n’a pas tort. La France et l’Algérie doivent pouvoir coopérer. Cela est impossible avant d’avoir travaillé en profondeur sur le passé commun des deux pays. Comme l’a montré l’opinion française divisée, un travail de mémoire reste à faire, et ce des deux côtés de la Méditerranée. L’Algérie continue de définir les Harkis comme des traîtres et la France refuse de reconnaître l’ampleur des conséquences de la colonisation, pour ne citer que quelques exemples d’une histoire partisane. Il faut que les deux pays reconnaissent leur rôle dans l’histoire de chacun pour pouvoir commencer à coopérer. Sans cela ils ne pourront se faire confiance, et créer un partenariat sain.

Les relations franco-algériennes méritent un futur. Elles doivent avant tout pousser les deux pays à s’engager dans un devoir de mémoire commun, et à rechercher côte à côte l’histoire manquante.