Malgré ses promesses de soins gratuits, le NHS est lui-même malade de l’austérité
Le NHS fait partie de l’âme du Royaume-Uni. Depuis sa création en 1948 par le gouvernement travailliste, l’institution est devenue partie intégrante du pays et les Britanniques en sont profondément fiers. Cette organisation fournit l’essentiel des soins et demeure la dernière grande industrie nationalisée. Néanmoins, le système souffre notoirement d’un trop faible niveau d’investissement, ce qui fatigue ses capacités d’opérations chaque année. Les pressions hivernales ont toujours été une lutte pour le NHS, mais depuis 2017-18 – considérablement pire que les années précédentes – les services du NHS ont été débordés chaque hiver en raison d’une augmentation des cas de grippe. En 2022, les hospitalisations pour grippe ont été multipliées par dix en comparaison avec l’année précédente.
Les conséquences économiques de la guerre en Ukraine et un taux d’inflation de 11%, le plus élevé depuis 1981, ont plongé le Royaume-Uni dans une crise du coût de la vie, aggravant considérablement les conditions de travail au sein du NHS. Il y a une inadéquation paralysante entre l’offre et la demande. En effet, les hôpitaux n’ont pas assez de médecins, d’infirmières, de lits, ni de services communautaires primaires et de santé mentale. Par ailleurs, la durabilité du NHS a été affaiblie par la politique personnalisée; l’antagonisme entre politiciens, causé par des ambitions conflictuelles, empêche toute réforme, ainsi perçue négativement comme des tentatives de privatisation du système. Tous ces facteurs contribuent à une profonde démoralisation et épuisement professionnel du personnel du NHS.
Une revue des réformes politiques
Des efforts de réformes ont été faits dans le passé pour essayer de rétablir le NHS. Le gouvernement de Tony Blair, premier ministre du Parti travailliste entre 1997 et 2007, a élargi l’initiative de financement privé (PFI), un partenariat public-privé qui aide à financer le NHS en empruntant de l’argent des services privés plutôt que de tout financer par la fiscalité générale. Ce projet, qui a sauvé le NHS après des années de sous-investissement chronique sous le régime de Thatcher, a été décrit comme une « fraude au peuple » par Sir Howard Davies, président de la Royal Bank of Scotland. Ces contrats avec les fournisseurs privés étaient très rigides et coûteux pour le gouvernement, et les remboursements PFI ont contribué à la fermeture d’hôpitaux. La dette du PFI est quatre fois supérieure au déficit budgétaire utilisé pour justifier l’austérité, avec 55£ milliards toujours dus. Ce manque de transparence sur les conséquences potentiellement désastreuses de la dette démontre que le PFI était un stratagème politique plutôt qu’une solution de financement à long terme.
De plus, pour résoudre le problème de capacité dans les hôpitaux, le gouvernement a signé des contrats avec le secteur privé pour doter les hôpitaux de plus de personnel. Le manque de personnel dont souffre le NHS est dû à l’absence d’une stratégie de de planification des effectifs à long terme, aussi bien qu’à la réduction du personnel de l’Union européenne en raison du Brexit et à des inquiétudes concernant les salaires. Donc, en plus des accords conclus avec des entreprises puissantes comme le Barts Health Trust, à qui le NHS doit sa plus grosse dette de 1,2£ milliards, le Royaume Uni a dû faire appel à des fournisseurs extérieurs afin de soulager ce déséquilibre entre l’offre et la demande qui est à la source de cette crise amplifiée. En effet, afin de soulager une pénurie d’infirmiers dans le nord du Pays de Galles en 2001, le NHS a fait appel à près de 100 infirmiers directement recrutés des Philippines. Ce projet, moins coûteux pour le gouvernement, qui a l’habitude d’embaucher des infirmiers des pays plus pauvres, a réussi à faire baisser les délais d’attente grâce au nouveau personnel et de la pression concurrentielle.
Le NHS sous le gouvernement de Rishi Sunak
Aujourd’hui, le Parti conservateur de Rishi Sunak est confronté à la crise la plus intense du NHS en raison des conditions économiques et des salaires qui ne suivent pas l’inflation. Ceci pousse le personnel infirmier à devoir enchaîner des heures de travail supplémentaires et à dépendre de banques alimentaires faute de revenus adéquats. Face à l’incapacité du gouvernement à répondre activement aux demandes salariales du NHS – ce qui, selon lui, ne ferait qu’accentuer les effets de l’inflation – le personnel soignant est entré en grève. Les 6 et 7 février, des dizaines de milliers de soignants et ambulanciers ont défilé dans les rues du pays, participant à la plus grande grève de l’histoire du NHS. De plus, une semaine plus tard, le Royal College of Nursing a fait sa plus grande grève de 48 heures alors que le conflit salarial s’est intensifié. Plus de 100 services ont été affectés, exerçant une énorme pression sur le gouvernement. Le Parti conservateur doit trouver une solution afin d’empêcher ces vagues croissantes d’action qui peuvent mettre des patients en danger. Le problème est que les deux partis impliqués dans la crise s’opposent. Le syndicat des médecins, le British Medical Association, ne s’engage pas facilement dans des négociations et démontre un manque de confiance envers le gouvernement. En priorité, Rishi Sunak doit cesser de nier que le NHS est en crise; son récit préjudiciable empêche le système de recevoir le financement dont il a désespérément besoin. Les conservateurs doivent reconnaître qu’il faut dialoguer avec les médecins et leur offrir du soutien et un compromis concernant le règlement financier des salaires, plutôt que les démoniser : les réformes ne fonctionneront pas sans leur coopération.
L’épidémie de maladies chroniques
Le NHS est mis à rude épreuve, non seulement en raison du manque de financement et des bas salaires, mais aussi en raison de son incapacité à faire face aux nouveaux défis et à l’évolution des maladies chroniques. La population souffre beaucoup plus de l’arthrite, de diabète et de la démence. Lesley Powls, la directrice des opérations du NHS, voyant la crise se dénouer, a déclaré « ce que nous voyons maintenant, c’est une population de patients qui est beaucoup, beaucoup plus malade qu’elle ne l’était avant Covid. » Le NHS est structurellement désavantagé face à cela parce que les soins primaires et communautaires, qui maintiennent les patients en bonne santé et hors de l’hôpital, sont gravement sous-investis, résultant en une baisse de 7% du nombre de médecins généralistes depuis 2017. Afin de traiter ces maladies croissantes, le NHS a désespérément besoin de l’adoption de nouveaux modèles et d’investissements dans la technologie. Avec une allocation appropriée des fonds, le système sera en mesure de s’améliorer dans le développement rapide et la diffusion de l’innovation, et donc sera capable de soulager la pression causée par l’aggravation des maladies chroniques.
De plus, une crise de santé mentale, exacerbée par le manque de services, contribue aussi énormément à la pression sur le NHS; les patients ne reçoivent pas l’aide nécessaire et donc se retrouvent dans les salles d’urgence en dernier ressort. Ces cas d’urgence nécessitant une attention immédiate auraient facilement pu être évités avec de meilleurs soins et services sociaux. Le problème de l’espace limité est davantage aggravé par une population vieillissante; de nombreux lits d’hôpitaux sont occupés par des personnes âgées qui, elles aussi, ne peuvent pas recevoir les soins nécessaires ailleurs à cause du manque d’assistance sociale.
Mais la solution n’est pas simplement d’injecter plus d’argent dans le système. Comme l’explique Alan Milburn, ancien secrétaire à la santé et membre du Parti travailliste, il faut changer fondamentalement la façon dont le personnel est formé et la façon dont la main-d’œuvre est configurée. Cela permettra d’identifier quels secteurs sont le plus dans le besoin afin d’assurer une meilleure attribution des fonds. Le système n’est pas mis en place pour faire face à la montée des maladies chroniques, mais plutôt pour s’occuper des soins épisodiques dans les hôpitaux, et c’est là que va la majorité du budget. Pour résoudre les problèmes structurels et fondamentaux, il faut complètement transformer la façon dont les ressources sont fournies et l’infrastructure des institutions. Ce n’est qu’alors que tout le monde recevra les soins nécessaires pour prévenir les maladies graves et sera bien soigné en dehors des hôpitaux.
Ce qui manque vraiment pour sauver le NHS, c’est l’espoir : il y a trop de pessimisme, appuyant une baisse de moral qui empêche la réforme et la durabilité de l’institution. Cet espoir est vital pour le futur du NHS, qui réside dans le changement technologique. Le domaine de la santé vit une révolution fondamentale, et il est nécessaire d’investir dans des technologies contemporaines qui empêcheront le NHS de s’effondrer, et qui donneront des ressources pour que l’institution puisse faire face aux nouveaux défis. Cela aidera les médecins à prédire et prévenir des maladies plutôt que de simplement diagnostiquer et traiter les patients.
Édité par Joseph Abounohra
En couverture : Photo d’une manifestation pour sauver le NHS en 2017 par Gwydion M. Williams sous licence CC BY 2.0.