Médias traditionnels vs. nouveaux médias : faut-il choisir pour s’informer?
Les médias traditionnels tels que la télévision, la radio et la presse continuent de jouer un rôle important dans l’opinion publique, tandis qu’avec l’essor des réseaux sociaux, c’est sur des applications telles qu’Instagram et Twitter que les jeunes s’informent et partagent leurs idées. L’écart des mentalités s’accroît entre les générations et s’est notamment révélé dans le traitement médiatique des récentes vagues de mouvements féministes au Québec.
C’est sans aucun doute Safia Nolin, musicienne et artiste québécoise, qui a contribué à ré-enclencher le phénomène #metoo au Québec l’été dernier, en révélant qu’elle avait été victime d’une agression sexuelle de la part de Maripier Morin, animatrice de télévision, en mai 2018. Le courage de Safia Nolin inspirera par la suite de nombreuses victimes et marquera une nouvelle déferlante de témoignages d’agressions sexuelles dans les domaines artistiques québécois. Alors que l’application Instagram a été inondée par les hashtags #metoo pendant tout le mois de juillet, la mobilisation a obtenu peu de visibilité dans les formes de médias traditionnelles, qui ont préféré déplorer l’impact de cette polémique sur la carrière de Maripier Morin.
Trois mois plus tard, une nouvelle vague de contestations féministes s’est attaquée aux codes vestimentaires des écoles secondaires. Longtemps débattus comme étant sexistes, en interdisant aux femmes le port de la jupe au-dessus des genoux ou les camisoles à bretelles, ces codes vestimentaires stricts normaliseraient pour beaucoup l’hypersexualisation du corps des femmes, et ce dès le plus jeune âge. Ces revendications ont obtenu une large visibilité au mois d’octobre lorsque des garçons, en gage de solidarité envers leurs consœurs, ont enfilé la jupe, une pièce de vêtement symbolique, pendant plusieurs jours dans leurs établissements. Par ce geste fort, ces garçons espéraient dénoncer, à leur manière, l’hypersexualisation du corps des femmes en portant un vêtement restreint dans l’école, sous prétexte qu’il est une distraction pour les garçons.
Bien que ces dénonciations ne soient pas nouvelles et proviennent de femmes à l’origine, ce mouvement a surtout pris de l’ampleur grâce à ces garçons et à l’appui d’hommes artistes connus tels que Jay du Temple et Xavier Dolan. Toutefois, il semble que les objectifs du mouvement échappent encore aux médias traditionnels, qui ont préféré couvrir superficiellement ce geste de solidarité, en se concentrant sur le port de la jupe par des hommes plutôt que sur les revendications réelles du mouvement et ses conséquences dans les institutions du secondaire.
Qu’est-ce que le cercle mauve?
La province du Québec est marquée par une longue histoire de mobilisation féministe contre les codes vestimentaires.
En 2018, c’est dans l’école secondaire Joseph-François-Perrault qu’a débuté le mouvement carré jaune, suite à la frustration d’étudiantes de ne pas pouvoir porter ce qu’elles voulaient sous peine de « distraire les hommes. » La même année, une pétition est créée au sein du pensionnat Saint-Nom-de-Marie d’Outremont contre le port obligatoire du soutien-gorge. C’est en 2020 que le mouvement du cercle mauve s’enracine pour tenter de pallier les nombreuses tentatives infructueuses de changements des normes vestimentaires appliquées dans les écoles. Le cercle mauve a la particularité d’avoir été fondé par deux filles, Marine Pichette et Avril Arce, et un garçon, Colin Renaud, tous élèves de quatrième et cinquième secondaire à l’école Villa-Maria, située sur l’île de Montréal. C’est eux qui, en octobre dernier, ont popularisé la jupe chez les garçons.
Ayant longtemps soutenu ces mouvements lorsque j’étais moi-même étudiante au secondaire, j’ai contacté Colin et Marine pour leur proposer une entrevue avec le McGill International Review afin de mieux comprendre en quoi leur approche était différente. Ils m’ont informé que le mouvement du carré jaune a été leur source principale d’inspiration, car ils partageaient la même frustration. Le cercle mauve et le port de la jupe par les garçons ont deux objectifs étroitement liés : dénoncer l’hypersexualisation du corps des jeunes femmes et combattre la masculinité toxique. Le mouvement prône donc la destruction des normes du genre qui permettraient à tous les élèves de se sentir plus libres et plus confortables dans leur peau et dans leurs vêtements. Xavier Dolan, acteur et réalisateur québécois, témoigne dans son texte publié par La Presse de son admiration pour les garçons ayant participé au mouvement du cercle mauve, alors qu’en grandissant en tant qu’homme gay, il n’osait même pas porter la jupe à l’Halloween.
L’adoption du port de la jupe chez les garçons
Pendant l’entrevue, Colin Renaud m’a raconté qu’il avait pu s’informer sur les questions féministes grâce à ses amies et les réseaux sociaux. C’est notamment sur Instagram qu’il a été très inspiré, après avoir vu pour la première fois des garçons arborer fièrement le port de la jupe. Il décide d’en faire de même quelques jours plus tard à l’école, mais c’est à des remarques désobligeantes d’une surveillante que Colin doit faire face. Il publie alors une photo de lui-même en jupe sur Instagram, tout en incluant un texte qui dénonce la violence des propos de cette membre de l’administration, qui n’a pas hésité à l’interpeller et à l’interroger sur sa sexualité. Très vite, sa publication accumule plus de 30 000 j’aime et déclenche un effet domino à travers la ville de Montréal. Les garçons se mettent progressivement au port de la jupe et les réseaux sociaux, inondés par ces images de garçons en jupe, attirent l’attention des journaux, notamment celle de la Montreal Gazette.
En dépit du fait que ce geste solidaire ait contribué à donner de la visibilité aux revendications des mouvements carré jaune et cercle mauve, peu de changements ont été réalisés au niveau de l’administration et des codes vestimentaires de ces écoles. L’école Villa-Maria, où est scolarisé Colin, n’a pas daigné s’exprimer sur les commentaires désobligeants faits par la surveillante à son sujet, alors que leur communiqué sur Facebook mettait l’accent sur leur volonté de se battre pour l’égalité des genres.
Tandis que le soutien des garçons envers ce mouvement brise les normes du genre et dénonce la masculinité toxique, il est important de se demander pourquoi les médias tels que Radio Canada et La Presse ont préféré donner la voix aux garçons plutôt qu’aux filles qui, elles, continuent de subir des reproches de la part de l’administration lorsqu’elles veulent s’habiller confortablement. Lors de notre entrevue, loin d’y être indifférent, Colin a pointé du doigt cette injustice, en soulignant que le rôle des garçons était de se battre pour les femmes et d’être leurs alliés dans cette mobilisation contre les codes vestimentaires. Il a ainsi remarqué le fait que certains garçons aient adopté la jupe par effet de mode, plutôt que par réel soutien envers la cause. Par exemple, des dizaines de publications publiées par des garçons n’ont pas été accompagnées de descriptions ou de messages engagés, peut-être en raison des médias qui donnaient une attention particulière envers les garçons.
Marine Pichette, co-fondatrice du mouvement cercle mauve, offre, elle, une perspective plus transversale face à ce débat : « Je trouve absurde qu’il ait fallu un homme pour “brasser” les choses et gagner de l’attention, alors que les femmes se battent contre ces enjeux depuis de nombreuses années. D’un autre côté, il ne faut pas s’attarder sur cette injustice. Il faut travailler ensemble pour voir un réel changement, il ne faut pas se diviser, » m’a-t-elle expliqué lors de notre entretien.
Médias vs médias
Voilà donc un autre cas où, presque inconsciemment, les médias traditionnels ont participé à renforcer le patriarcat tout en traitant un sujet féministe. La balance demeure donc toujours à être trouvée quant au rôle des hommes dans les mouvements féministes : à la fois capable de bouleverser plus rapidement les mœurs patriarcales en suscitant davantage d’attention, comme de les renforcer en invisibilisant la parole des femmes.
Toutefois, il est important de constater le caractère émancipateur des réseaux sociaux qui, eux, sont parvenus à organiser une foule d’étudiants face à cet enjeu. Le phénomène de la jupe, devenu viral, a pu réveiller les consciences et éduquer certaines personnes qui étaient restées ignorantes face à ces problématiques. Pour illustrer la puissance des réseaux sociaux et leur capacité à éduquer les nouvelles générations, il suffit de prendre pour exemple Colin et Marine, qui ont tous les deux affirmé lors de notre entrevue que le mouvement #metoo avait joué un rôle important dans leur processus d’apprentissage des enjeux féministes. C’est grâce à Twitter, Facebook et Instagram qu’ils ont pu prendre conscience des enjeux, et c’est à travers ces mêmes plateformes qu’ils ont lancé leur propre mouvement de contestation qui a été à l’origine d’un phénomène viral au Québec.
Ainsi, les réseaux sociaux, à travers des mouvements comme #metoo et le cercle mauve, sont devenus de réels catalyseurs de changements dans la société, en transmettant à une large quantité d’individus des informations sur les inégalités hommes-femmes, et en parvenant à les mobiliser au service de ces causes. Alors que les institutions scolaires et les médias traditionnels comme la presse, la télévision et la radio continuent à renforcer le statu quo et des normes de genres dépassées, les femmes et les hommes marginalisés doivent continuer d’avoir recours aux réseaux sociaux pour faire entendre leurs voix.
Photo de couverture: Capture d’écran du compte Instagram de @gablemieux. L’école secondaire des Sentiers, à Québec, a forcé celle-ci et ses collègues de sortir de classe en raison de leur tenue.
Édité par Anja Helliot.