Même au Québec

Suite au meurtre de George Floyd le 25 mai dernier par un policier à Minneapolis, des manifestations massives ont eu lieu à travers les États-Unis et même à Montréal pour dénoncer le racisme systémique. En réaction à ces récents événements, le Premier ministre Legault avançait cette semaine en conférence de presse que bien qu’il existe du racisme et de la discrimination au Québec, il n’y existe pas de discrimination systémique. Vraiment?

Examinons la question. 

Le 17 août 2018, la Ville de Montréal annonçait la tenue d’une consultation publique sur le racisme et la discrimination systémiques. En 2017, le projet de consultation sur les mêmes enjeux, à l’échelle provinciale, avait été critiqué par le PQ et par la CAQ. « On ne croit pas que cela existe », mentionnait alors la porte-parole caquiste en matière d’immigration Nathalie Roy, en référence au racisme systémique. Le projet avait donc été rejeté, mais une pétition ayant recueilli plus de 20 000 signatures avait poussé l’administration Plante à l’enclencher dans la métropole cosmopolite.

À l’époque, Le Devoir avait proposé une définition pour aider à comprendre la discrimination systémique, terme distinct du racisme systémique. En effet, dans la foulée de la consultation publique, des groupes comme les personnes handicapées ou les membres de la communauté LGBTQ+ avaient fait valoir qu’ils vivaient également au quotidien la discrimination systémique. Celle-ci peut donc prendre un sens plus large que le racisme systémique, qui se limiterait plutôt à la discrimination de personnes racisées. 

Dans l’article, les auteures Colleen Sheppard et Kara Sheppard-Jones stipulent qu’un problème est systémique quand « il se reflète plutôt à travers des problèmes récurrents et répandus, des politiques et pratiques institutionnelles qui excluent des personnes et des injustices dans plusieurs facettes de la société et à travers plusieurs générations. » Phénomène sournois, la discrimination systémique peut être difficile à identifier au quotidien. Les auteures proposent donc trois niveaux d’analyse pour en faciliter la compréhension et l’identification : micro, institutionnel et macro. 

Explorons donc chacun des niveaux pour évaluer l’existence ou non de discrimination systémique au Québec.

Micro : Ce genre de discrimination devient systémique lorsqu’un groupe en particulier est ciblé constamment au niveau individuel. Pensons à plusieurs groupes ethniques comme les Chinois ou les Indiens, qui font l’objet de préjugés dans leurs interactions quotidiennes quant à leur capacité de s’exprimer en français. Un autre exemple est la discrimination à l’embauche, pratique pourtant illégale qui s’avère tout de même accrue au Québec pour les personnes racisées.

Institutionnel : Ce niveau de discrimination provient des institutions de l’État, notamment les systèmes de santé, d’éducation ou de services sociaux ainsi que le corps policier. La mort tragique de George Floyd et les manifestations subséquentes ont remis en évidence l’enjeu de la brutalité policière, qui affecte de façon disproportionnée les populations racisées et vulnérables. Alors qu’au Québec nous sommes très rapides à critiquer nos voisins du sud, il ne faudrait pas oublier que ce problème existe chez nous aussi. En effet, une enquête révélait que la discrimination envers les Noirs, les Autochtones et les Arabes par le Service de Police de la Ville de Montréal était bien réelle . La mort de Fredy Villanueva à Montréal-Nord en 2008 sous les balles de la police est un exemple probant de la brutalité policière commise par le SPVM, alors que le refus de doter les policiers de caméras portatives constitue le symptôme d’une obstination à maintenir le statu quo malgré les rapports et les recommandations qui s’empilent sous la poussière.

Macro : Il s’agit de la forme de discrimination par laquelle un désavantage perpétuel peut mener un certain groupe à ne pas avoir de représentation politique, renforçant donc son manque de visibilité, son aliénation des processus décisionnels et le maintien de sa situation. Le manque de représentation politique des minorités est en effet un enjeu bien réel au Québec, alors que le pourcentage de minorités à l’Assemblée nationale demeure en-deçà de celui de la population québécoise. Un autre exemple horrifiant de ce niveau de discrimination est le traitement réservé aux populations Autochtones, que l’État maintient dans un état vulnérable par des pratiques discriminatoires, tel que dénoncé dans le rapport final de la Commission Viens de 2019.

Cette liste ne se veut pas exhaustive, et ne peut d’ailleurs pas l’être face à l’abondance de tels phénomènes. La définition utilisée pour les fins de cet article peut également être contestée, mais en dépit des limitations de celle-ci, il a été établi par de nombreux rapports et études s’accumulant au fil des ans que le portrait global de la situation au Québec est désolant : les instances mentionnées dans cet article ne représentent qu’une fraction infime d’un problème sociétal majeur qui perdure au Québec, sans que les gouvernements se succédant n’en fassent état. 

Notre décision commune de volontairement ignorer ce problème majeur, tel qu’exprimé par les propos du Premier ministre, constitue une menace pour les minorités qui doivent composer avec les problèmes quotidiens liés à la discrimination systémique, mais aussi pour la société dans son ensemble qui voit une portion de ses membres être ainsi aliénée. En rejetant les griefs des personnes racisées liés à la discrimination systémique, le gouvernement se déresponsabilise. Lorsque l’État ignore le problème, vers qui les populations vulnérables faisant face à une discrimination provenant justement des institutions dudit État peuvent-elles se tourner? Reconnaître le problème est la première étape vers le début de la conversation que nous devons avoir comme société et le développement de solutions. 

S’il en va ainsi pour le gouvernement qui doit faire face au racisme systémique, il en va aussi pour chacun d’entre nous. Le racisme n’est pas une identité ni une dichotomie : ce n’est pas « être raciste ou ne pas l’être », mais plutôt de reconnaître comment des gestes inconscients et innocents que nous posons au quotidien peuvent perpétuer une oppression systémique des minorités. Même au Québec.

 

Photo de couverture « Manif contre la haine et le racisme (anti loi 62 march, Montreal) » par Jer Clark, sous licence CC BY-NC-SA 2.0.