New York 1 – Airbnb 0 : Pourquoi Airbnb a-t-il été banni de la Big Apple?
En 2008, les colocataires Brian Chesky et Joe Gebbia créent Airbnb à San Francisco, une initiative qui consiste alors de transformer leur appartement en bed and breakfast en y apposant des matelas gonflables (ou airbeds). Le site AirBed & Breakfast (plus tard Airbnb) attire rapidement l’attention, et ils saisissent la venue de la convention démocrate de 2008 à Denver, capitale du Colorado, pour tester le modèle d’affaires de la nouvelle entreprise ainsi qu’élargir leur offre. Leur succès est considérable, et ils auront même su capitaliser sur la popularité du candidat démocrate Barack Obama pour lancer, en parallèle, des produits promotionnels comme les céréales Obama O’s. Airbnb reçoit ensuite un financement de Y Combinator, se lançant officiellement sur le marché. Aujourd’hui, la plateforme compte plus de 7 millions d’annonces et a généré plus de 2 milliards de dollars de profit en 2022. Cependant, dans un contexte de crise où une multitude de villes peinent à libérer le logement nécessaire à leurs populations grandissantes, le modèle d’affaires d’Airbnb mérite d’être remis en question; c’est notamment le cas de la ville de New York, qui s’est récemment démarquée pour son approche unique.
Local Law 18 : Airbnb mis KO par New York
Le 5 septembre 2023, le conseil municipal de New York a adopté une loi interdisant la location à court terme de logements dans la ville. Cette loi, appelée Local Law 18, vient interdire « de facto » les opérations d’Airbnb dans la ville, selon un communiqué publié par la plateforme de location de logements. En effet, la loi interdit la location de logements d’une durée de moins de 30 jours dans la ville, ce qui représente la majorité des locations sur Airbnb. Toutefois, des licences exceptionnelles permettant de louer pour de courtes périodes peuvent être accordées, mais jusqu’à présent, seulement 300 ont été attribuées parmi plus de 4000 demandes. De plus, cette loi exige que les hôtes soient présents durant le séjour des locataires et limite la location à deux personnes maximum, empêchant ainsi la location à des familles. Ces contraintes réduisent considérablement la possibilité pour les hôtes de louer à des touristes, qui recherchent généralement des logements pour deux personnes ou plus, et ce, pour de courtes durées.
Le conseil de ville de New York a donc essentiellement choisi de bannir Airbnb de la ville, suscitant une réaction mitigée : tandis que Airbnb, ses hôtes et les touristes déplorent cette restriction, les militants pour l’accès au logement et les habitants des quartiers densément peuplés d’Airbnbs l’applaudissent ardemment.
Les perdants
Les contrecoups de cette décision pour Airbnb risquent d’être monumentaux. En effet, 22 000 des 40 000 logements listés sur la plateforme à New York vont disparaître, ce qui risque de faire mal financièrement à Airbnb puisqu’en 2022, à New York seulement, $85 millions ont été générés par les locations à court terme. Encore plus, dans un contexte de pénurie du logement globalisée, cette décision historique de la ville de New York pourrait mener à d’autres décisions similaires de la part de conseils de villes voulant faciliter l’accès au logement à leurs citoyens.
Déjà, les villes de San Francisco et Washington D.C. limitent la durée maximale de location pour les hôtes à 90 jours par année, tandis que Paris et Amsterdam mettent la limite à 120 et 30 jours respectivement. Au Québec ainsi qu’à Memphis, il est nécessaire d’obtenir une licence pour mettre son logement en location, tandis qu’à Dallas, il est carrément interdit de mettre un logement en location dans certains quartiers résidentiels. En ce moment, Airbnb se porte très bien financièrement : elle a effectivement généré $2.5 milliards dans le deuxième quart de 2023, une augmentation de 18% par rapport à l’an dernier, et a vu le nombre de locations augmenter de 11% par rapport à l’an dernier. Cependant, elle n’est pas à l’abri d’une chute financière précipitée si les restrictions la touchant se généralisent à travers le monde.
La décision de New York sur les locations de courte durée pourrait également nuire au tourisme, forçant potentiellement des gens à annuler leurs visites en raison de l’augmentation des prix des hôtels et la préférence de certains pour les avantages des Airbnb, comme l’intimité et les équipements. Ces touristes pourraient être contraints de choisir des hôtels ou de revoir leurs plans de voyage. Theo Yedinsky, directeur de la politique mondiale d’Airbnb, a d’ailleurs déclaré : « La ville envoie un message clair aux millions de visiteurs potentiels qui auront désormais moins d’options d’hébergement lors de leur visite à New York : “Vous n’êtes pas les bienvenus” ».
Enfin, les hôtes qui comptaient sur les revenus de la location de leurs logements pour arriver à joindre les deux bouts vont prendre un sérieux coup financier. Krystal Payne, une mère de famille qui louait sa maison familiale à Brooklyn pour pouvoir arriver à payer son hypothèque affirme que les officiels de la ville l’ont « laissée tomber ».
Les gagnants
Les groupes d’activistes pour l’accès au logement tels que Take Root Justice affirment que cette décision était nécessaire pour faciliter l’accès au logement aux New Yorkais. Ces derniers soutiennent effectivement que la disparition des locations à court terme augmentera l’offre de locations à long terme pour les New Yorkais. Une étude du contrôleur général de la ville de New York a d’ailleurs montré que 9% de la hausse du prix des loyers à New York entre 2009 et 2016 est causée par Airbnb, ce qui semble donner raison à ces groupes de pression.
Spécifiquement, les activistes pour le logement célèbrent la fin du phénomène d’arbitrage, une pratique courante sur Airbnb par laquelle des hôtes professionnels achètent des logements, les décorent et les remettent en location à des prix élevés. Cette pratique permet aux hôtes de se faire un profit en capitalisant sur la demande élevée de touristes prêts à payer cher pour des locations à court terme. Cependant, elle laisse des milliers de New Yorkais furieux, eux qui n’arrivent pas à acheter des logements à des prix aussi concurrentiels que ces hôtes professionnels, et se voyant donc barrés de l’accès au logement. Avec cette nouvelle loi interdisant les locations de moins de 30 jours, l’arbitrage prendra vraisemblablement fin pour la majorité des gens qui le pratiquaient, même si quelques-uns se sont tournés vers d’autres plateformes comme Facebook Marketplace, Craigslist et Alfie pour offrir des locations à court terme (une pratique illégale, d’ailleurs!).
Enfin, les résidents de quartiers à Manhattan, Queens et Brooklyn où l’offre et la demande d’Airbnbs ont atteint des sommets historiques, vont aussi bénéficier de cette loi. Constamment dérangés par le bruit causé par les locataires d’Airbnb dans leurs quartiers, ces résidents déplorent aussi que leurs quartiers soient en train de perdre leur identité en devenant des centres touristiques surpeuplés de locations Airbnb. Cela fait monter le prix des loyers dans leurs quartiers, si bien qu’il est devenu impossible pour des actifs à revenu moyen de devenir propriétaires. En effet, en 2022, le prix médian des loyers à Manhattan avait augmenté de $4,000 par rapport à l’année précédente et le nombre de logements disponibles en location à long terme était tombé à un niveau historiquement bas.
L’heure de vérité
Pour pouvoir continuer à opérer, Airbnb se doit de trouver des pistes de conciliation entre son modèle d’affaires avec la pénurie de logements dans les villes. Chesky l’a dit lui-même: la plateforme est « fondamentalement brisée ». Airbnb va donc devoir trouver un moyen de résoudre rapidement ses problèmes, sans quoi elle risque d’être poussée hors du ring par des lois comme celle passée par New York le 5 septembre.
Édité par Loïc Robinson.
En couverture : L’application Airbnb sur un smartphone. « Airbnb logo », Image de Ivan Radic, sous licence CC BY 2.0 DEED.