Plus de 200 millions de déplacés climatiques à l’horizon 2050 : l’agence de l’ONU pour les réfugiés au pied du mur
Le 28 juillet dernier marquait le 70e anniversaire de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés. Pour l’occasion, Filippo Grandi, Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, réaffirmait l’importance du traité. Malgré la constante évolution des causes et des dynamiques des déplacements humains, il soulignait dans une tribune que « la Convention relative au statut des réfugiés [avait] toujours évolué pour refléter ces changements. »
Avec un nombre de personnes déplacées dans le monde ayant atteint un nouveau record de 82,4 millions, il est clair que la Convention de 1951 reste un document fondamental du droit international, qui garantit le droit à l’asile et à la protection à toutes les personnes fuyant la guerre, la violence, la persécution et les conflits. Toutefois, il demeure que ce document-clé a été écrit il y a presque trois quarts de siècle, et a été modifié seulement une fois en 1967, via un Protocole, pour étendre la protection universellement.
Aujourd’hui, certains détracteurs s’interrogent sur sa pertinence. Si certaines de ces critiques émanent de gouvernements populistes rejetant les principes de la Convention sur fond de xénophobie et d’ignorance, d’autres proviennent également d’intellectuels et de journalistes qualifiés, intéressés par les thèmes de migration, d’asile et de droit international. En effet, ces derniers remettent en question la Convention, considérant l’existence d’un vide juridique relatif à d’autres causes de déplacement forcé, notamment celles reliées aux facteurs environnementaux.
Si les déplacements causés par les changements climatiques et les catastrophes naturelles n’étaient pas ou peu existants en 1951, ils ne concerneraient pas moins de 23 millions de personnes dans le monde aujourd’hui et ce chiffre pourrait atteindre les 200 millions d’ici 2050 en l’absence d’actions ambitieuses en matière de climat et de réduction des risques des catastrophes. Or, l’Assemblée générale de l’ONU n’a jamais introduit une nouvelle catégorie concernant la condition des personnes déplacées par des facteurs environnementaux et continue de seulement reconnaître comme réfugiée toute personne « […] craignant d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques. » Certaines conventions régionales telles que la Convention de Carthagène et celle de l’Union africaine proposent des définitions plus larges du terme « réfugié », mais aucune d’elles ne contient de précisions quant au changement climatique ni même celle de Kampala, qui se concentre sur les personnes déplacées à l’intérieur du continent africain.
Alors pourquoi ce vide juridique, malgré la multiplication de publications et d’initiatives concernant ces nouveaux types de déplacements? Au-delà d’un certain manque de coopération et de coordination entre les différentes organisations internationales concernées et les États parties, il apparaît également que le manque de clarté quant à l’identification de la cause directe des migrations climatiques est l’un des problèmes majeurs freinant la création d’un cadre juridique. En effet, les réfugiés dits « climatiques » n’identifieraient pas forcément les impacts des changements climatiques comme un facteur déterminant dans leur déplacement.
Face à ce flou, il me semble que le HCR ait choisi de présenter l’enjeu climatique comme un multiplicateur de risques de conflits plutôt que comme un facteur direct de déplacements. Cette position est visible à travers les déclarations d’Andrew Harper, spécialiste de la question climatique au HCR, qui explique dans la plupart de ses interventions que le climat a le pouvoir d’augmenter l’insécurité alimentaire, la pression sur les systèmes de santé et d’éducation, les conflits, la mauvaise gouvernance et la compétition en termes d’accès aux ressources. « Avec des contextes politiques, économiques et sociaux-religieux compliqués, la combinaison de facteurs [notamment environnementaux] pourrait être l’étincelle qui déclenche tout », déclarait-il en 2020. Bien qu’ayant permis d’assujettir certains cas de réfugiés « climatiques » aux normes de la Convention de 1951 et de leur offrir une protection, je suis convaincue que cette stratégie n’est pas une solution à long terme car elle contribue à invisibiliser cette nouvelle catégorie de migrants – qui pourrait pourtant bientôt représenter la plus grande part des déplacements forcés dans le monde.
Il est urgent de combler ce vide juridique d’autant que les personnes déplacées par des facteurs environnementaux sont des migrants à part entière. D’abord, les causes de leurs déplacements sont la responsabilité de chaque État puisque les activités polluantes de chaque pays contribuent à l’accélération du dérèglement climatique. Or, bien que les pays du Nord aient le plus contribué au dérèglement climatique, ce sont aujourd’hui les populations des pays du Sud qui en sont le plus affectées, notait encore le dernier rapport du GIEC en août 2021. C’est face à ce paradoxe que s’est développé ces dernières années le mouvement pour la justice climatique, selon lequel la responsabilité des pays les plus riches serait d’autant plus grande dans la lutte contre le changement climatique. En l’absence d’actions environnementales concrètes, il est clair que le sort de certaines populations du Sud continuera de s’aggraver et qu’elles seront bientôt de plus en plus nombreuses à être contraintes de quitter leur domicile. Le fait que la violence qu’elles fuiront n’impliquera ni armes à feu, ni persécution, ne la rendra pas moins réelle, ni ne rendra les responsables du Nord moins responsables.
Par ailleurs, les déplacements causés par des facteurs climatiques posent la véritable nécessité d’une solution à long terme. Dans le cas de déplacements liés à l’environnement, avec des territoires condamnés à être engloutis par les océans d’ici une dizaine d’année, à l’image des îles Tuvalu et Kiribati, il est impératif que les États parties de la Convention développent des solutions à long terme pour les populations concernées. Dans ce contexte de changements climatiques irréversibles, il est évident qu’aucune offre de protection temporaire ne pourra jamais s’avérer adéquate et efficace.
Le changement climatique représente la crise majeure de notre époque. Elle nous invite à nous adapter et à remettre en question la viabilité de nos systèmes. Bien que le HCR ait déjà amorcé certaines initiatives en matière de sensibilisation, de réduction de l’empreinte carbone de l’organisation, mais aussi dans le développement de considérations légales concernant les personnes déplacées en raison de facteurs environnementaux, ces efforts se doivent aujourd’hui d’être renforcés, décuplés et concrétisés.
En 1967, la communauté internationale a prouvé qu’elle était capable de s’adapter pour répondre plus efficacement aux besoins de protection des réfugiés dans le monde. À l’occasion des 70 ans de la Convention de 1951, alors que l’on assiste à une déferlante de catastrophes naturelles dans le monde, de la Chine jusqu’au Canada en passant par l’Allemagne et l’Algérie, il est temps pour le HCR et ses partenaires de prouver une nouvelle fois leurs capacités d’adaptation et leur pertinence dans un contexte de réchauffement climatique. Bien que cruciale, l’élaboration d’un cadre juridique ne garantira pas à elle seule une solution efficace et durable. Le HCR et ses partenaires doivent également envisager d’adopter de véritables plans de réinstallation ainsi que des positions plus fermes en termes de lutte contre le réchauffement climatique.
Édité par Maria Laura Chobadindegui.