Poutine: L’hégémonie inébranlable

Il est au pouvoir depuis plus longtemps que n’importe quel chef de la Russie avant lui dans l’ère post-stalinienne. Cultivant une image paternelle dans son rôle de leader charismatique, Vladimir Poutine est perçu par l’Occident comme un homme froid et un fin stratège, qui n’a pas peur d’employer la force comme bon lui semble. Du côté domestique, si l’opposition à son régime prend de plus en plus d’ampleur, elle semble encore loin de pouvoir contrebalancer la large proportion de la population qui continue de le soutenir, soutenue par un régime tacitement perçu comme frauduleux. Ainsi, avec déjà vingt ans de règne à son compte, Poutine achèvera son mandat en 2024, et ne pourra pas se représenter dans les conditions constitutionnelles actuelles. Mais lors de son discours annuel devant l’Assemblée fédérale, il a esquissé des changements structurels qui laissent entendre qu’il n’a pas l’intention de lâcher les rênes du pouvoir de sitôt.

Le 15 janvier, Poutine a prononcé le discours annuel devant l’Assemblée fédérale, qui a pour but d’annoncer la trajectoire prévue par le gouvernement pour l’année en cours. Diffusé partout en Russie, il a pris place plus tôt cette année, et a été porteur d’annonces de grandes réformes. En effet, après avoir annoncé une panoplie complète de réformes des plus socialistes, Poutine a émis des propositions de changements de la Constitution. Volontairement resté assez flou quant à son propre futur dans ce nouveau système, il a néanmoins laissé comprendre qu’un changement structurel était de vigueur. 

À la suite de ce discours, Dimitri Medvedev, fidèle bras droit et Premier ministre de Poutine, a remis sa démission au président russe, accompagné des membres de son gouvernement. Un mouvement des plus mystérieux, dont l’interprétation a vacillé entre mouvement de désaccord avec la nouvelle trajectoire prévue par Poutine, ou une suite logique – bien qu’encore inconnue – des évènements. Nommé à la tête du Conseil de sécurité russe, Medvedev est remplacé rapidement par un technocrate obscure issu du service fédérale des impôts, Mikhaïl Michoustine. En d’autres termes, cette suite d’évènements avait de grands airs de mesures calculées et anticipées.

Le discours de Poutine est avant tout annonciateur d’une volonté d’assurer ses arrières au pouvoir. Alors que la situation économique en Russie continue de se montrer difficile pour une large portion de la population, particulièrement dans les zones rurales, les mesures socialistes annoncées visent probablement à maintenir le soutien essentiel de la population à son égard. Ainsi, il cultive, comme à son habitude, son rôle paternel vis-à-vis du peuple, qui a redonné à la Russie une partie de sa grandeur perdue. Mais cette fois-ci, il est allé plus loin, en proposant de s’attaquer à la répartition des pouvoirs, et semble dessiner les traits d’un système qui lui permettrait de garder la main mise sur les instances gouvernementales à l’issue de 2024. 

Dimitri Medvedev, ancien Premier ministre de Russie et fidèle bras droit de Vladimir Poutine. CC BY 4.0

Alors que tout le monde se serait attendu à ce qu’un amendement de l’article 81, qui limite le nombre de mandats présidentiels consécutifs à deux, soit au coeur de ces propositions de réformes, il s’est contenté de brièvement proposer d’ouvrir le débat sur le sujet. En contrepartie, il fait monter la barre des requis pour prétendre à la position de président, après avoir limité ses pouvoirs, transférés au Parlement. En d’autres termes, s’il ne peut plus être président, personne n’aura autant de pouvoirs que lui en a eus dans le passé. Il semble donc s’assurer que son successeur ne puisse défaire son héritage politique et national aisément. Néanmoins, il a conclu en réaffirmant le besoin de continuer à faire de la Russie une République présidentielle, en continuant de conférer les plus grands pouvoirs au Président, qu’ils soient politiques ou militaires. 

Parallèlement, il a proposé de conférer de nouveaux pouvoirs à des institutions où son parti, Russie Unie, règne indéniablement. En effet, il souhaite une expansion des pouvoirs de la Douma, la chambre basse du parlement, dont les membres sont élus – tout du moins sur papier – démocratiquement. Il souhaite ensuite voir l’inscription du Conseil d’état dans la Constitution, une institution restaurée par ses soins, en 2000. Que ce soit donc chef du Conseil d’état, président de la Douma, ou bien positionné à la tête d’une institution clé pour la sécurité nationale, Poutine crée manifestement de nouvelles positions essentielles au sein du gouvernement. Qui plus est, il ouvre une porte pour pouvoir destituer les juges des Cours suprême et constitutionnelle de Russie, organes destinés à contrebalancer les pouvoirs présidentiels. Autrement dit, il  s’assure non seulement de renforcer le pouvoir structurel de Russie Unie, mais affaiblit en contrepartie d’autres branches du gouvernement. Cela lui permettrait de continuer à contrôler la Fédération dans l’ombre, comme il a déjà su le faire dans le passé avec Medvedev, lorsque ce dernier a pris la place de Poutine à la tête de la Fédération le temps d’un mandat. Le consensus est de percevoir ces manœuvres comme un simple changement de façade et un stratagème de Poutine pour contourner la limite de mandats consécutifs.

Afin de modifier la Constitution, les amendements doivent être approuvés par les deux tiers de la Douma et les trois quarts du Conseil de la fédération, chambre haute du parlement, avant d’être soumis à un vote public. Adoptée en 1993, la Constitution russe actuelle n’a été amendée qu’une seule fois, sous Medvedev en 2008, lorsqu’il étend de 4 à 6 ans le mandat présidentiel. 

De fait, Poutine aurait déjà, bien qu’officieusement, réussi à modifier la Constitution dans le passé, laissant présager qu’il trouvera un moyen de le refaire dans le futur. Qui plus est, le Kremlin fait face à peu de résistance au sein du gouvernement. La Douma, compte 340 représentants de Russie Unie, le parti du président, sur un total de 450 membres, alors que le parti occupe 128 des 170 sièges du Conseil de la Fédération. En d’autres termes, les chances de parvenir à ses fins semblent élevées. 

A ce jour, la seule chose qui est certaine est que Poutine a l’intention de faire entrer la Russie dans une nouvelle ère de transition institutionnelle. Alors que les prochaines élections parlementaires se tiendront l’an prochain, et que des mouvements d’opposition populaire gagnent de la voix, il semble avancer de nouveaux pions avec grande précaution, le tout sans dévoiler son plan de grande envergure. À ce jour, personne ne semble encore capable de le mettre échec et mat.

Featured image: Photo officielle du Kremlin – CC BY 4.0