Un nouvel accord de cessez-le-feu en Libye : a-t-on raison d’y croire?
Les deux belligérants rivaux de la Libye Fayez al-Sarraj, chef du gouvernement d’union nationale (GNA) et Khalifa Haftar, le dirigeant de l’armée nationale de libération (ANL), ont annoncé en août dernier la cessation des hostilités armées qui déchirent le pays depuis maintenant neuf ans. Ceci a accéléré les négociations de paix pour déboucher, le 23 octobre dernier, sur un accord de cessez-le-feu « complet et permanent ». Certes, la trêve est une étape fondamentale vers la stabilité de la nation, mais les espoirs d’une paix durable sont encore modestes puisque la Libye présente un historique de trèves et d’accords vains et fréquemment rompus. La consolidation de la paix par un gouvernement d’unité nationale représentera ainsi le vrai test de crédibilité.
Après la révolution de 2011 qui a renversé le dictateur Muammar al-Kadhafi, la Libye est devenue le théâtre de conflits armés et d’instabilité politique. Les élections controversées de 2014 en vue d’élire les représentants d’un gouvernement uni ont détérioré la situation et scindé le pays en deux, provoquant une guerre civile sanglante. Ainsi devenu instable, le territoire libyen s’est transformé en un cantonnement djihadiste, où les troupes de l’État Islamique (EI) ont profité du cafouillage ambiant pour s’installer. Le pays manque donc d’autorité centrale et subsiste dans un chaos ambiant. Bien qu’il soit reconnu par l’ONU, le GNA manque de puissance et de popularité et tente tant bien que mal de consolider son autorité sur l’ensemble du territoire libyen, tandis que l’ANL, gênée d’un manque de budget, peine à contrôler son vaste territoire.
Depuis 2015, plusieurs tentatives de paix et de stabilisation politique ont été entreprises, en vain. En octobre 2015 ont été signés les accords de Skhirat (Maroc) qui parachevaient un compromis entre les gagnants et perdants de l’élection de 2014. C’est à cette date qu’est créé le GNA, avec al-Sarraj à sa tête, censé être l’autorité suprême qui unifiera le pays. Sa légitimité est dès lors contestée par le maréchal Haftar qui reprend les armes. Paradoxalement, c’est donc d’un accord de paix qu’ont émergé les deux figures de proue actuelles du conflit. En 2017, un nouvel accord de cessez-le-feu a été signé à Paris; cependant l’entente a été jugée comme « structurellement défaillante » car elle ne comprenait que les groupes armés sous la tutelle directe de chaque dirigeant – donc n’incluait pas les troupes étrangères. Ainsi, cet accord n’a pas empêché bombes et missiles de pleuvoir sur le pays et n’a donc pas apporté la paix. En janvier 2020, un nouvel accord de cessez-le-feu a été signé à Berlin, là encore infructueux.
Les négociations n’ont à ce jour jamais mis fin à la guerre civile, car les deux rivaux s’accusent mutuellement des violations des accords. Bénéficiant d’une armée mieux équipée et supérieure en nombre, Haftar est depuis 2019 aux portes de Tripoli, son objectif ultime et siège du GNA. Ce dernier, mis à mal, n’a pu tenir sa position et repousser l’offensive que grâce au soutien de groupes armés envoyés par la Turquie en janvier 2020. Ainsi, loin d’exercer une autorité unie et stable sur la Libye, chaque opposant sème feu et chaos.En 2018, un nombre de 37 000 morts a été recensé depuis 2011 et les services sociaux comme les hôpitaux mobiles et les ambulances n’ont pas été épargnés. De plus, le conflit a provoqué un exode international de plusieurs dizaines de milliers de Libyens.
Le nouvel armistice, signé à Genève sous l’égide de l’ONU, entérine l’arrêt des combats observé depuis juin, en exigeant le retrait des troupes étrangères de la ligne de front au sud de Tripoli et sur le territoire libyen dans un délai de 3 mois. Outre l’arrêt des combats et le retrait des troupes, l’accord comprend aussi un échange des prisonniers de guerre, l’ouverture complète des routes et voies aériennes (qui avaient été bloquées par l’ANL) et la formation d’une nouvelle force de protection des sites pétroliers qui permettra, entre autres, de garantir la stabilité de la production pétrolière du pays. Ainsi, le respect de cet accord engendrerait à la fois une stabilité politique et économique. Toutefois, même si l’accord a été signé, les parrains internationaux des rivaux ont eux aussi leur part à jouer dans son respect. Il s’agit ainsi de voir s’ils retireront leur troupes et cesseront le ravitaillement en armes : la Turquie ayant continuellement affrété des cargos militaires pour approvisionner le GNA pendant le conflit. De leur côté, la Russie et les Émirats Arabes Unis ont soutenu Haftar avec des mercenaires et un apport régulier d’armes à feu. Ainsi, le degré d’adhésion aux règles de l’accord est encore sujet à caution, et une violation de l’accord est un vrai danger, autant de la part des belligérants libyens que des forces internationales concernées dans le conflit.
Par ailleurs, les réactions internationales sur cet accord sèment à la fois doute et espoir. D’un côté, l’Allemagne estime que l’entente est « un premier succès décisif » vers une solution politique concrète. Mais, à l’inverse, la Turquie croit plutôt que l’élaboration d’un accord politique demeurera l’élément principal dans les négociations politiques prochaines, car le cessez-le-feu ne représente qu’une cessation des combats et non un aboutissement politique durable.
De fait, dans un territoire où la tendance historique est à la violation des cessez-le-feu, le nouvel accord, bien que porteur d’espoir, doit encore faire ses preuves. Dès lors, il reste à voir si l’accord sera respecté par toutes les parties jusqu’à ce que d’autres négociations concrètes aient lieu. Car même si les combats sont interrompus depuis le mois d’août, les parrains internationaux des deux clans doivent eux aussi respecter l’initiative et d’autres ententes doivent être négociées avant d’aboutir à un gouvernement stable, légitime et uni. Ainsi, il est pertinent de voir si la légitimité de cet accord est temporaire ou si le cessez-le-feu restera vecteur de paix et de stabilité en Libye.
Image de couverture: Drapeau de la Libye. Photo de Mediengestalter, sous licence CC-BY.